Festival de Gérardmer, retour sur deux jours d’horreur

Au programme de la 30ème édition de ce festival du film fantastique : de belles expériences viscérales et sensorielles, des œuvres à l’esthétique soignée, des thrillers efficaces et quelques déceptions… 

DANS CET ARTICLE :

Blood de Brad Anderson
Piaffe d’Ann OrenPrix du Jury
Watcher de Chloe OkunoPrix spécial du 30ème festival
Memory Of Water de Saara Saarela
La Pietà d’Eduardo CasanovaPrix du public, Prix du jury jeune, Grand Prix
The Nocebo Effect de Lorcan Finnegan

Blood de Brad Anderson

Le treizième long métrage du réalisateur de The Machinist est un film bien exécuté, bien interprété mais trop convenu pour marquer durablement.

Crédit : The Jokers Films

Peut-on encore surprendre avec un film de loups-garous (ou de vampires) ? C’est le pari que semble se lancer Brad Anderson avec Blood, son treizième long métrage. Délaissant le terrain des thrillers psychologiques, le réalisateur opte pour un style de narration plus linéaire. Après avoir emménagé avec sa mère et sa sœur dans une vieille ferme abandonnée, Owen se fait mordre par un chien. À son réveil, il réclame du sang humain. Sa mère (Michelle Monaghan) est prête à tout pour lui en procurer… Les premières minutes du film intriguent, mais Blood ne parvient finalement pas à éviter les stéréotypes des films de ce genre. Les retournements de situation sont attendus, et le film peine à étonner, même dans les séquences les plus horrifiques. Et ce autant sur le plan du film surnaturel, que du drame familial sur l’amour d’une mère. Pourtant les interprètes sont convaincants, le scénario tient la route et les décors sont efficaces. Blood reste propre, sans véritable défaut, mais sans grande qualité d’innovation non plus. 

Piaffe d’Ann Oren

Pour son premier film, la réalisatrice signe une œuvre sensorielle singulière, aussi déstabilisante que créative, qui invite à découvrir le monde méconnu du bruitage. Le film a remporté le prix du jury. 

Credit : Rediance

Pour les besoins d’un spot publicitaire vendant des médicaments contre les sautes d’humeur, Eva doit réaliser le bruitage d’une séquence équestre. Alors qu’elle s’attèle méticuleusement à la tâche, une queue de cheval pousse sur son corps. Une nouvelle caractéristique physique qu’elle accueille avec enthousiasme… À travers cette métamorphose surnaturelle, la réalisatrice esquisse en réalité la transformation d’une femme qui laisse libre cours à l’exploration de ses désirs. Porté par l’interprétation magnétique de Simone Buccio, Piaffe questionne aussi bien notre rapport aux animaux et à la nature que nos constructions sociales, en abordant des thématiques comme le genre et la santé mentale. Filmé en 16mm et servi par une mise en scène soignée et artistique, le premier film d’Ann Oren propose une expérience sensorielle (autant d’un point de vue visuel qu’auditif) qui fait la part belle aux bruiteur.euses, une profession souvent méconnue. Pas à pas, Piaffe s’impose comme une œuvre poétique, captivante et libre . 

>>> LIRE AUSSI : ANN OREN : “PIAFFE EST PENSÉ POUR ÊTRE UNE EXPÉRIENCE SENSORIELLE

Watcher de Chloe Okuno

Un thriller horrifique sobre et réaliste mais d’une grande efficacité, porté avec brio par Maika Monroe, la révélation de It Follows. Le film a remporté le prix spécial du 30ème festival.

Credit : Courtesy of Sundance Institute

Julia et Francis quittent les Etats-Unis pour emménager à Bucarest, là où Francis a eu une promotion. À leur arrivée, la ville est terrifiée par les crimes d’un tueur en série en liberté. Souvent seule dans son appartement, Julia va alors avoir l’étrange impression qu’un voisin l’observe… Watcher est la preuve que la plus grande des horreurs se trouve souvent dans notre réalité. S’emparant d’une des peurs les plus universelles, Chloe Okuno signe avec son premier film un thriller efficace à la mise en scène soignée. Cherchant à brouiller les pistes jusqu’à son dénouement (aussi plaisant qu’attendu), Watcher doit beaucoup à l’interprétation remarquable de son actrice principale, Maika Monroe (It Follow, Greta). En multipliant les points de vue et en jouant sur la paranoïa de Julia, le film offre quelques belles scènes de tension et maintient l’intérêt de son audience tout le long, tout en restant très proche de la réalité. On ne manquera pas en tout cas de garder nos rideaux fermés !

Memory Of Water de Saara Saarela

Inspirée par le roman La Fille de l’eau d’Emmi Itaranta, la réalisatrice finlandaise signe un film d’anticipation contemplatif qui fascine par ses décors et son esthétique. 

Credit : The Match Factory

Dans une Finlande située 200 ans après notre époque, l’eau est devenue une denrée rare. Après la mort de son père, Noria reprend la tradition familiale et devient maître du thé de son village. Elle découvre alors un secret gardé depuis des générations qui pourrait bien changer l’avenir de l’humanité… Malgré son synopsis digne des plus grandes œuvres dystopique, Memory Of Water n’est pas un film d’action mais plutôt un film d’anticipation contemplatif. Adapté du roman Fille de l’eau d’Emmi Itaranta, le quatrième film de la réalisatrice finlandaise Saara Saarela est une réflexion terriblement actuelle sur ce que l’on transmet de génération en génération : nos traditions et nos secrets. Grâce à des décors stupéfiants et une ambiance recherchée, Memory Of Water dessine le tableau d’un possible avenir dans lequel une jeune femme (Saga Sarkola) devrait se battre pour offrir à l’humanité un meilleur avenir. Ça vous rappelle quelque chose ? 

>>> LIRE AUSSI : SAARA SAARELA : “MEMORY OF WATER DÉCRIT UN UNIVERS FUTURISTE MAIS CRÉDIBLE

La Pietà d’Eduardo Casanova

Un ovni cinématographique marquant, dérangeant mais extrêmement esthétique, qui explore la relation toxique entre une mère et son fils. Le film a remporté le prix du public, le prix du jury jeune et le Grand prix.

Crédit : Film Factory Entertainment

Rarement un film à l’esthétique pastel n’aura été aussi perturbant. Le deuxième film du réalisateur espagnol Eduardo Casanova est une œuvre extrêmement personnelle (la ressemblance entre l’acteur principal et le réalisateur est d’ailleurs troublante). En mêlant humour noir et horreur franche, La Pietà raconte la relation toxique entre Libertad et son fils Manuel. Les deux sont incapables de se quitter mais quand l’un développe une maladie grave, la perspective d’une séparation les enferme dans une relation encore plus sombre… N’imposant aucune contrainte à son imagination, le réalisateur repousse les limites du convenable en multipliant les références artistiques (La Pietà de Michel Ange, L’Origine du Monde de Courbet…) et en comparant la mère à un dictateur nord coréen. Plus efficace qu’une séance de psychanalyse, La Pietà est une expérience viscérale (le mot ne pourrait pas être mieux choisi) sur la filiation, l’individualité et le collectif. Le tout contenu dans un petit bonbon rose acidulé hautement esthétique.

The Nocebo Effect de Lorcan Finnegan

Malgré son manque de subtilité, le nouveau film du réalisateur de Vivarium est un thriller efficace qui livre un plaidoyer redoutable contre la fast-fashion.

Crédit : The Jokers Film

Dire que le nouveau film de Lorcan Finnegan était attendu au Festival de Gérardmer cette année serait un euphémisme. Porté par Eva Green (Proxima, White Bird), le film explore la mystérieuse maladie d’une créatrice de mode, que sa nourrice philippine promet de guérir… Peut-être moins original et subtil que son film précédent (Vivarium), The Nocebo Effect reste un film efficace avec quelques séquences marquantes dans lesquelles se mêlent terreur et magie. Véritable révélation du film, Chai Fonacier (dont c’est le premier grand rôle) étonne, en passant d’une nourrice chaleureuse et serviable à une présence maléfique et menaçante. Dommage que le scénario un peu trop linéaire, même si divertissant, ne parvienne pas à surprendre. Néanmoins, avec ce plaidoyer efficace contre la fast fashion, Lorcan Finnegan s’affirme une fois de plus comme un réalisateur anticonformiste engagé.

Le palmarès complet

Grand prix : La Pietà d’Eduardo Casanova

Prix du jury (ex-æquo) : La Montagne de Thomas Salvador et Piaffe d’Ann Oren

Prix du 30e festival de Gérardmer : Watcher de Chloe Okuno

Prix de la critique : La Montagne de Thomas Salvador

Prix du public : La Pietà d’Eduardo Casanova

Prix du jury jeunes : La Pietà d’Eduardo Casanova

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