Saara Saarela : “Memory Of Water décrit un univers futuriste mais crédible”. 

En adaptant le roman La Fille de l’eau d’Emmi Itaranta (sortie en 2014), la réalisatrice finlandaise Saara Saarela plonge dans une Finlande dystopique dans laquelle l’eau est devenue une denrée rare. 

Crédit : The Match Factory

Memory Of Water raconte l’histoire de Noria, une jeune femme devenue maître du thé de son village après la mort de son père. Alors qu’elle découvre un secret gardé depuis des générations, elle est confrontée à un choix : garder ce secret ou le partager et peut-être sauver l’humanité. Au Festival du film fantastique de Gérardmer, la réalisatrice s’est livrée sur sept ans de travail et sur les raisons qui l’ont poussé à transposer cette histoire à l’écran. 

Memory Of Water est une adaptation du roman La Fille de l’eau d’Emmi Itaranta. Pourquoi avoir voulu adapter cette histoire ? 

Ce qui m’a beaucoup touché quand j’ai lu le roman, c’est que le personnage principal soit si jeune. Dans le livre, Noria a 17 ans. Dans le film, elle est un peu plus âgée, elle a une vingtaine d’années. Mais je trouvais intéressant de mettre une jeune personne devant une grande question qui concerne l’humanité : Comment sauver son peuple ? Comment réagir ? Et puis je trouvais aussi intéressant de parler de l’eau comme d’une ressource épuisée. 

Même si vous avez commencé à travailler sur le film il y a 7 ans, ce sont des thèmes qui sont toujours très actuels. C’est aussi ça qui vous a plu ? 

En parallèle du livre, j’ai lu plusieurs articles sur l’épuisement de l’eau. L’eau n’est pas une ressource naturelle inépuisable, même si on en parle rarement. Il paraît évident qu’il y en a. Pourtant, elle est dépendante du climat et de la façon dont elle peut circuler sur la planète. L’eau doit être conservée et s’il n’y a plus de pluie, si les rivières s’assèchent, c’est alarmant… Il y a une balance qui est nécessaire pour préserver l’eau et avec le changement climatique cette balance est entrain de changer.

Credit : The Match Factory

Memory Of Water est un film extrêmement visuel. Comment avez-vous construit les décors et l’univers ? 

Tout part du livre, qui est très cinématographique. Il y a beaucoup de descriptions visuelles et une ambiance assez particulière qui m’a beaucoup plu. Presque mélancolique, comme s’il y avait une certaine tristesse envers un monde qui n’existe plus. Il a fallu presque 2 ans de recherches pour trouver les décors. Avec le budget qu’on avait, on ne pouvait pas tout construire. On a choisi l’Estonie, parce qu’il y a toujours des endroits très naturels qui font partie du désert soviétique. Tous les extérieurs du film sont des vrais décors avec parfois un tout petit peu d’effets en post-production. Il n’y a que l’intérieur de la maison de Noria qui ait été construite en studio.

Quelles inspirations aviez-vous en tête pendant ces recherches ? 

C’était assez compliqué de trouver des références parmi les films de science-fiction parce que souvent les univers représentés sont assez éloignés du nôtre. Avec Memory Of Water on voulait créer un univers futuriste mais crédible. L’idée du film, et du livre aussi, c’est que les gens de notre société ont trop consommé et maintenant ils ne peuvent plus consommer. Il y a un vrai retour en arrière même en termes de technologie. Mais il y a deux films qu’on a beaucoup regardé : Les Fils de l’Homme d’Alfonso Cuarón (2006) et Les Hauts de Hurlevent d’Andrea Arnold (2011). 

Credit : The Match Factory

Votre film précédent Twisted Roots (2009) explorait déjà le thème de la transmission. Memory Of Water aussi. Il est question à la fois de la transmission au cœur d’une famille mais aussi de la terre qu’on transmet à la génération suivante. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce thème là ? 

Difficile à expliquer, je pense que c’est quelque chose d’un peu intuitif. Ce qui m’intéresse surtout c’est l’idée du secret de famille. C’était de ça dont il était question dans Twisted Roots, d’une famille qui a des difficultés à communiquer. Dans Memory Of Water il y a aussi l’idée de ce qu’on fait de ce secret. Est-ce qu’on le garde ou est-ce qu’on le partage ? Peut-être qu’inconsciemment c’est aussi ce qui m’a touché dans le livre : la réflexion de Noria sur ce secret de famille. 

Un autre aspect très important dans le film est le rituel, notamment le rituel du thé, qui est une des scènes clés du film. Là encore il est question de transmission et de tradition familiale…

En finlandais, le livre d’Emmi Itaranta s’appelle “Le Livre du Maître du thé”. On a changé le titre pour le film (ndlr : le film s’appelle La Gardienne de l’Eau en finlandais) mais le rituel du thé est toujours là. Il est représenté comme un un rituel plutôt japonais mais sans être tout à fait une cérémonie japonaise. Le livre laisse sous-entendre que les ancêtres de Noria pourraient être des réfugiés climatiques, venus du Japon quand le niveau de la mer à commencer à monter. Ils auraient pu venir en Finlande pour trouver de l’eau propre. Comme ça s’est passé il y a peut-être 4 ou 5 générations, je ne voulais pas que Noria soit complètement japonaise, mais c’est aussi un moyen de parler de la façon dont les traditions, les cultures, vont se mélanger dans le futur. 

Une dernière question pour finir, puisqu’on parle du futur. Quels sont vos projets pour l’avenir ? 

Disons qu’avec Memory Of Water j’ai regardé 200 ans vers l’avenir. Maintenant j’ai envie de regarder 200 ans en arrière, avant l’indépendance de la Finlande, quand le pays faisait encore partie de l’Empire Russe. La Russie voulait changer la langue officielle du pays et imposer le service militaire à tous. Un groupe de militantes intellectuelles se sont regroupées pour résister. Je voudrais raconter leur histoire. 

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Memory Of Water, réalisé par Saara Saarela. Écrit par Ilja Rautsi, adapté de l’œuvre d’Emmi Itäranta. Avec Saga Sarkola et Mimosa Willamo. Disponible prochainement.  

Propos recueillis par Chloé Blanckaert (Rédactrice en chef et fondatrice de MERCI L’AUDACE) dans le cadre du Festival de Gérardmer 2023.