She Will de Charlotte Colbert, Egō d’Hanna Bergholm, Samhain de Kate Dolan et Saint Maud de Rose Glass possèdent de nombreux points communs. Tous sont des premiers films, réalisés par des femmes, avec des personnages féminins forts… Mais ils ont également tous été sélectionnés au Festival Gerardmer ces dernières années.
C’est quoi le Festival Gérardmer?
Les amateurs de films de genre en auront peut-être déjà entendu parler. Le Festival international du film fantastique de Gérardmer est un festival consacré au cinéma fantastique et horrifique. Il tient son nom de la commune dans laquelle il se déroule chaque année, dans les Vosges, depuis 1994. Pendant 5 jours, généralement fin janvier, le festival diffuse des courts et des longs métrages et décerne 7 prix. Parmi eux, le prix du public, le prix de la critique, le prix du jury ou encore le Grand Prix. Ce dernier a notamment été décerné à Créatures célestes (1994) de Peter Jackson, It follows (2015) de David Robert Mitchell ou encore Grave (2017) de Julia Ducournau. En 2023, le festival se déroulera du 25 au 29 janvier et il fêtera ses 30 ans !
She Will de Charlotte Colbert : Une œuvre envoûtante pour soigner nos traumatismes
Après une double mastectomie, Veronica, actrice en fin de carrière, part se reposer dans la campagne écossaise avec son infirmière, Desi. Là-bas, alors que les cendres des femmes brûlées des siècles auparavant recouvrent encore le sol, Veronica se remémore ses traumatismes passés.
Avec son premier film, la réalisatrice britannique Charlotte Colbert signe une fable fantastique subtile dans laquelle les traumatismes des femmes s’unissent pour mieux se venger. Sa mise en scène et sa photographie somptueuses font de She Will un film qui se ressent plus qu’il ne se raconte. Une brillante façon de transposer à l’écran les violences subies par les femmes au quotidien et ce depuis des siècles. À travers l’histoire de Veronica, femmes aux multiples cicatrices, aussi bien physiques que psychologiques, la réalisatrice questionne notre société. Quelle définition avons-nous de la féminité ? Quel traitement réservons-nous aux femmes de plus de 50 ans ? Quelles violences faisons-nous subir aux femmes quotidiennement ? Que gardons-nous de notre passé ? En mêlant fantastique, psychologique et horreur, She Will frappe par son esthétique unique : la réalisatrice est également une artiste plasticienne. Le film est aussi porté par l’interprétation fascinante d’Alice Krige, qui expulse ses traumatismes jusqu’à porter fièrement ses cicatrices dans une scène finale magistrale.
Samhain de Kate Dolan : dans l’intimité d’une famille maudite
À quelques jours d’Halloween, la mère de Char disparaît mystérieusement avant de réapparaître plusieurs heures plus tard. Rapidement, Char se rend compte que quelque chose à changer. Elle découvre alors un terrible secret de famille.
Si le titre français Samhain : aux origines d’Halloween laisse présager un énième film sur cette fête mythique, le titre original You’re not my mother se concentre sur tout autre chose. Derrière une histoire un peu simple de possession démoniaque, le premier film de Kate Dolan, Prix du Jury au Festival Gérardmer, se révèle être un drame social horrifique efficace sur la maladie mentale. Dans Samhain, Char se retrouve petit à petit ostracisée. À l’école par ses camarades puis ensuite chez elle par sa propre mère. Livrée à elle-même, elle va devoir “soigner” sa mère. Le film aurait sûrement gagné à adopter une narration un peu moins linéaire. Grâce à une mise en scène épurée et une ambiance sonore inquiétante, Samhain trouve son ton avec des séquences angoissantes réussies, lors desquelles l’étau se resserre plus encore autour de Char.
Egō d’Hanna Bergholm : de l’enfance à l’adolescence, la fin de l’innocence
La mère de Tinja, 12 ans, tient à ce que sa vie soit parfaite. Elle oblige Tinja à faire chaque fois de la gymnastique pour atteindre la perfection. Un jour, la petite fille trouve un œuf qu’elle décide de couver. Une mystérieuse créature fait alors son entrée dans la vie de cette famille en apparence parfaite.
Dès les premières images, Egō intrigue. Malgré son esthétique pastel et ses décors léchés, quelque chose de malsain s’y dégage. À la manière d’un coming-of-age movie, Egō montre le passage de l’enfance à l’adolescence de Tinja, qui compose avec une mère étouffante, à un moment où elle se sent aussi dépassée par ses émotions. Hanna Bergholm, la réalisatrice, installe la tension brillamment en grattant doucement le vernis du quotidien de cette famille finlandaise. Son décor coloré devient le théâtre de toutes les cruautés et Tinja et son alter-ego, la créature, vont tenter de reprendre le contrôle de la situation. Malgré une métaphore peut-être trop évidente (l’œuf se craque tout comme l’image parfaite de la famille), Egō fait preuve d’une véritable envie d’innovation dans sa manière de traiter les troubles psychologiques. Bien écrit et à la mise en scène soigné, le film se distingue aussi grâce au talent de sa jeune interprète, Siiri Solalinna, dont c’est le premier film.
Saint Maud de Rose Glass : une œuvre surprenante et un portrait divin
Maud, infirmière à domicile au passé trouble, est très religieuse. Alors qu’elle s’installe chez Amanda, une ancienne danseuse malade, elle se sent investie d’une mission divine : sauver l’âme d’Amanda.
Premier film de Rose Glass, Saint Maud a été récompensé de 3 prix au Festival de Gérardmer 2020 : le Prix du jury jeune, le Prix de la critique et le Grand Prix. Rien de surprenant car Saint Maud possède de nombreuses qualités : une mise en scène audacieuse, une interprète principale captivante (la suédoise Morfydd Clark) et un scénario bien ficelé. Dans ce film, Rose Glass multiplie les points de vue, épousant parfois la vision de Maud et préférant d’autres fois un point de vue plus extérieur, laissant ainsi planer le doute sur la véracité des visions divine de son héroïne. Saint Maud se vit presque comme un puzzle dans lequel le sacré et le profane s’entremêlent, au fur et à mesure que la vie de Maud se dévoile. De même, les genres fantastiques et dramatiques se mélangent dans le film donnant alors naissance à un produit singulier qui questionne le côté extrême de la foi. Maîtrisant son film de bout à bout, la réalisatrice fait monter la tension jusqu’à une scène finale aussi sublime que glaçante, mais brillante dans tous les cas.