Annie Colère de Blandine Lenoir, rappel historique sur l’avortement

Parfois un film résonne davantage à cause du contexte dans lequel il sort. C’est le cas d’Annie Colère, une œuvre déjà extrêmement puissante qui apparaît d’autant plus nécessaire qu’elle sort à un moment où le droit à l’avortement est remis en cause dans de nombreux pays. “Pour défendre un droit, c’est fondamental de connaître son histoire, et comment on a réussi à l’obtenir”, explique la réalisatrice Blandine Lenoir dans un entretien avec le magazine Slate. Elle s’exécute brillamment dans Annie Colère, un film à la mise en scène épurée qui trouve sa force dans une histoire profonde et des interprètes spectaculaires. Hautement intime et politique, Annie Colère rappelle pourquoi l’avortement est un droit fondamental tout en mettant en lumière une organisation méconnue mais essentielle : le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC).

Représenter l’avortement

Annie Colère est pour Blandine Lenoir l’occassion d’offrir une nouvelle représentation de l’avortement afin “d’arrêter de stigmatiser les femmes qui avortent”. Elle fait alors le choix de représenter de nombreuses scènes d’avortement avec une intensité inouïe mais aussi une grande tendresse et bienveillance. Ces expériences uniques vécues par des femmes sont mises en scène avec une telle sensibilité que les spectateur.ice.s les ressentent également au plus profond de leur corps. On partage pleinement le ressenti d’Annie, mère de deux enfants en 1974, enceinte et faisant le choix d’avorter. Si elle a déjà subi un avortement à l’aide d’aiguilles à tricoter dans le passé, son expérience avec le MLAC va être très différent. Cette fois, Annie vit son avortement comme un soulagement, montré lors d’une scène sublime qui révèle comment les femmes se parlent et s’unissent dans ces moments. Ces scènes donnent aussi au film une dimension pédagogique en expliquant comment s’adresser aux femmes dans ce contexte particulier. 

Rectifier l’histoire : Le MLAC

Tout le monde connaît le combat héroïque de Simone Veil, mais on a oublié les militant.e.s qui ont poussé Giscard d’Estaing à modifier la loi”, déclare la réalisatrice, expliquant ensuite ce qui l’a motivée à réaliser ce film : rendre hommage à un “récit manquant”. Le MLAC est un mouvement qui a existé de 1973 et 1975 et avec lequel des médecins et des militant.e.s ont bravé la loi pour permettre aux femmes d’avorter sans danger et sans douleur. C’est en grande partie grâce à ce mouvement de grande ampleur que le gouvernement a changé la loi. Pour écrire le film, la réalisatrice et la co-scénariste Axelle Ropert, se sont basées sur une thèse de 800 pages écrite par la chercheuse Lucile Ruault pendant 5 ans. Avec ce film, Blandine Lenoir veut “rendre grâce à ces femmes qui ont lutté pour notre liberté [et] qu’on se souvienne que les lois s’arrachent de haute lutte” mais elle réalise aussi un incroyable travail qui fait entrer ce mouvement dans la mémoire collective.

Des interprètes impeccables

Au cœur de l’Histoire du MLAC, il y a des femmes, et au cœur d’Annie Colère, il y a aussi des femmes qui trouvent ici leurs meilleurs rôles. Laure Calamy en tête bien sûr, dont l’énergie et la puissance traverse le film et donne vie au personnage d’Annie, une femme ordinaire qui s’engage après un évènement intime. Rosemary Standley ensuite, la chanteuse du groupe Moriarty, dont la voix et la douceur bercent les scènes les plus intenses. Mais aussi Zita Hanrot (Carnivores, Rouge…) et India Hair (En même temps, Mandibules) incroyables de justesse et qui s’imposent une nouvelle fois comme des figures montantes du cinéma français. Si les quatres interprètes sont géniales individuellement, la grande force du film est de les réunir et les unir pour une cause commune, livrant alors un plaidoyer émouvant pour la sororité, le courage et la force des femmes à se battre pour elles. 

Qui est Blandine Lenoir ?

Annie Colère est le troisième long métrage de la réalisatrice française après Zouzou (2014, déjà avec Laure Calamy) et Aurore (2017). Dans chacun de ses films, elle s’intéresse au parcours intime des femmes (l’amour après soixante ans dans Zouzou, et l’expérience de la ménopause dans Aurore) et Annie Colère ne déroge pas à la règle. Avant son premier long métrage, elle a également réalisé 8 court-métrages, dont Monsieur l’Abbé, nommé au César du meilleur court en 2010. Dans ce film, la réalisatrice s’inspire de lettres écrites à un abbé par des catholiques, publiées dans une revue et abordant plusieurs thèmes liés à la sexualité. En plus d’écrire et réaliser, Blandine Lenoir est également actrice. Elle a d’ailleurs fait ses débuts dans le milieu du cinéma avec un premier rôle dans le film Carne (1991) de Gaspard Noé, puis sa suite Seul contre tous en 1998. Si elle s’est faite discrète dans le paysage du cinéma français jusqu’à présent, il y a fort à parier qu’Annie Colère changera la donne.