Le Dernier Duel & Pleasure : la place de la femme dans la société du XIVème siècle au XXIème siècle

Je vous l’accorde, ces deux films n’ont a priori pas grand chose en commun. L’un se déroule en France au XIVème siècle, l’autre se déroule à Los Angeles au XXIème siècle. Le premier raconte l’histoire vraie du dernier duel de l’histoire de France, entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, et le second explore les dessous de l’industrie du porno. 

Présenté ainsi, on a du mal à comprendre en quoi la comparaison de ces deux films est pertinente, mais pourtant, malgré les apparences, ces films traitent finalement des mêmes sujets : du consentement et de la place de la femme dans la société. 

Le Dernier Duel de Ridley Scott raconte l’histoire de Marguerite de Carrouges, dont le mari doit venger l’honneur après que Jacques Le Gris l’ai violée. Pleasure de la réalisatrice suédoise Ninja Thyberg suit Bella Cherry, une jeune femme de 19 ans qui quitte la Suède pour aller s’installer à Los Angeles et devenir la future star du porno. 

Avant de vous en dévoiler plus sur l’histoire de ces deux films, je vous conseille vivement d’aller les voir au cinéma. Je suis convaincue qu’ils vous marqueront aussi bien par l’intensité de l’histoire que par les performances exceptionnelles des comédiens : la révélation de Sofia Kappel, la confirmation de Jodie Comer et les prestations bluffantes de Adam Driver et Matt Damon.

Des premiers rôles féminins, dans une société patriarcale. 

Le premier point commun entre ces deux films est qu’ils ont tous deux pour personnage principal une jeune femme qui évolue dans une société extrêmement patriarcale

Dans la société médiévale du Dernier Duel, Marguerite est d’abord soumise à l’autorité de son père, avant d’être offerte à son mari où elle sera placée sous son autorité et deviendra ni plus ni moins sa propriété : le viol de Marguerite devient alors un affront envers son mari et une honte pour lui. Marguerite lui appartient, et Jacques Le Gris n’a de cesse que de prendre ce qui est à lui, le vilain ! À travers ce duel, Jean ne venge pas tant Marguerite que son honneur personnel. 

Dans Pleasure, Bella Cherry est plongée dans l’industrie du cinéma pornographique, une industrie largement dominée par des hommes d’un certain âge et qui ne laisse que peu de place à la femme. Ici encore, les actrices peuvent être perçues comme la propriété de leurs agents et des réalisateurs, malgré une bienveillance apparente. 

Le consentement et ses multiples déformations.

Ce que Pleasure nous montre surtout, c’est que la notion de consentement est plus complexe qu’on aimerait le croire. Oui, avant de commencer un tournage, une actrice signe un document témoignant de son consentement à tourner la scène prévue. Et oui, le réalisateur, les acteurs et le reste de l’équipe technique la mettent en apparence à l’aise, la rassurent, l’écoutent, expliquent que si elle veut s’arrêter elle peut, et qu’il n’y a aucun souci.
Sauf qu’en réalité, lorsque lors d’une scène particulièrement éprouvante et violente, Bella demande à s’arrêter, ces mêmes personnes sont les premières à la culpabiliser et lui expliquer calmement que sa décision d’arrêter mettrait en péril la production du film et le travail de toutes les personnes impliquées dans ce projet. N’ayant pas vraiment d’autre choix qui s’offre à elle, Bella finit par accepter de continuer à tourner cette scène. Le réalisateur décide alors de croire qu’elle est consentante sans prendre en compte le chantage moral qu’il vient de faire. Une façon pour tous les hommes présents sur le plateau d’alléger leur conscience en somme.

Cette question du consentement est au cœur du film de Ninja Thyberg, mais intervient également dans le film de Ridley Scott. 

Le Dernier Duel raconte le même événement de trois points de vue différents : celui de Jean, celui de Jacques et celui de Marguerite. Le spectateur se retrouve alors dans l’obligation de regarder la scène de viol du point de vue de l’agresseur (Jacques Le Gris) puis du point de vue de la victime (Marguerite). Et il va être intéressant d’observer les différences qui existent entre ces deux témoignages.
Le film, qui prend d’ailleurs très explicitement parti pour Marguerite, mettant un terme au débat qui pourrait émerger de “qui dit vrai : l’agresseur ou la femme?”, nous montre un Jacques Le Gris qui interprète des regards de Marguerite, n’écoute pas ses protestations et ses demandes répétitives de la laisser tranquille. Pour lui, il est impensable que quelqu’un puisse ne pas vouloir de lui, et Marguerite proteste uniquement pour se donner bonne conscience, jouer son rôle d’épouse, mais de toute évidence elle a envie de lui car elle lui a jeté un regard, un jour lors d’une fête de village. 

À l’inverse, Marguerite est très claire sur le fait que ce regard avait pour seul but de flatter l’ego de Jacques, que même si elle avait effectivement dit à une amie qu’il était séduisant, Jacques Le Gris est un rustre qui ne l’intéresse pas, et elle restera fidèle à son mari. 

Marguerite ne donne pas son consentement à Jacques, dit non à plusieurs reprises et lui demande de partir, mais celui-ci interprète ses paroles à son avantage. Il ne peut ainsi pas être coupable d’un viol si elle était consentante, et si elle l’accuse, c’est uniquement parce qu’elle essaie de garder sa dignité et de lui nuire. 

Une autre façon d’aborder la notion de consentement dans Le Dernier Duel est dans les scènes de relation conjugale entre Marguerite et Jean, notamment lors d’une scène en particulier, d’une violence incroyable, où Jean force Marguerite a avoir une relation avec lui car il ne laissera pas Jacques être le dernier « à l’avoir eu”… Comme dans Pleasure, on se retrouve une nouvelle fois dans un cas de figure où la femme, propriété de l’homme, est obligée de céder au désir de son mari et où son bien-être et ses sentiments ne sont pas considérés

Le traitement des femmes par les femmes : misogynie et violence intériorisée.

Malheureusement, ce mauvais traitement des femmes et ce manque de considération des sentiments féminins n’est pas propre aux personnages masculins. Aussi bien dans Le Dernier Duel que dans Pleasure, la misogynie de la société semble intégrée par la plupart des personnages féminins qui tiennent également des propos violents envers les femmes qu’elles rencontrent. 

Dans Le Dernier Duel, on peut notamment relever les commentaires de la mère de Jean et de l’amie de Marguerite qui reprochent à Marguerite sa prise de parole. Alors qu’on pourrait imaginer que le personnage de la mère, ayant vécu la même chose, soit compatissant, c’est l’inverse qui se produit : elle culpabilise Marguerite et se range du côté des hommes et de son fils. L’amie de Marguerite quant à elle, adopte les mêmes réflexions que son mari, en la traitant de menteuse et en la discréditant : elle ne peut pas avoir été violée par Jacques car “elle le trouvait beau garçon”. 

Dans Pleasure, on prend conscience de cette misogynie intériorisée lors de la dernière scène du film où Bella et Ava, une nouvelle star également, tournent une scène ensemble. Après plusieurs remarques humiliantes de la part d’Ava, Bella finit par se comporter avec elle de la même façon que certains hommes se sont comportés avec elle : avec violence, colère et envie d’humiliation. Perturbée par son comportement, Bella présente ensuite ses excuses à Ava, qui n’a pas l’air de comprendre pourquoi cette dernière s’excuse. L’une comme l’autre ont à ce point intériorisé la violence et la misogynie de ce milieu qu’humilier, violenter et imposer son désir sur une femme semble être quelque chose de tout à fait naturel

Une problématique qui perdure à travers les siècles. 

Aussi différents soient-ils, ces deux films ont le mérite d’exposer de manière plutôt évidente les dérives de la société patriarcale et le manque de compréhension de la notion de consentement

Ce que le chapitre “la vérité selon Jacques Le Gris” suivi du chapitre “la vérité selon Marguerite de Carrouges (la vérité)” dans Le Dernier Duel montre parfaitement, c’est à quel point la notion de consentement peut être déformée et que la parole de la femme a besoin d’être écoutée, entendue, considérée. Certes, on parle ici d’un film de moyen-âge, mais ce genre de situation n’est pas rare au XXIème siècle. 

Sans avoir une vision trop pessimiste de notre société actuelle, la représentation que Jacques Le Gris se fait de sa “relation” avec Marguerite pourrait correspondre aux réflexions et justifications que se donnent certains agresseurs de nos jours

Elle était consentante« , un explication souvent justifiée par un jeu de regard, un sourire, une tenue parfois…“Elle a dit non pour se donner une bonne image” explique l’agresseur lorsqu’il ne prend pas le temps d’écouter la parole de la femme et la minimise.

Quant à Pleasure, un parallèle peut rapidement être fait avec ce qui se passe dans notre société actuelle, et notamment les accusations de viols et d’agressions faites contre Harvey Weinstein en 2018 ou d’autres grandes figures du cinéma, du sport, de la politique et de la musique plus récemment. Dans chaque cas de figure, il est facile d’imaginer une femme intimidée par le pouvoir d’un homme être contrainte d’accepter une relation avec ce dernier, et un homme profiter de sa position pour abuser d’une femme. L’agresseur soulage alors la conscience en se disant que cette dernière était consentante, qu’elle disait non et qu’elle protestait pour faire bonne figure ou alors qu’elle n’a tout simplement rien dit. Il utilise alors le même mode de réflexion que Jacques Le Gris au Moyen-Âge. La boucle est bouclée. 

Malgré les huit siècles qui séparent les deux histoires, les sujets abordés dans ces deux films sont des sujets universels, et si on y trouve autant de similarités, c’est peut-être qu’au final les choses n’ont pas tant changé dans notre société quant à la place de la femme et l’importance qu’on accorde à sa parole

Certes, dans Pleasure, Bella souhaite devenir une star du porno de son plein gré, mais ses envies sont rapidement dictées par une société patriarcale qui veut toujours plus de la femme : si elle veut réussir, elle doit tourner des scènes hardcore, dans lesquelles les femmes sont soumises et maltraitées. On peut aussi souligner le fait que Bella ne soit que rarement protégée par la société et qu’elle se retrouve souvent seule : son agent se dédouane de toute responsabilité, sa mère ne l’écoute pas lorsqu’elle demande à rentrer, les équipes sur les tournages la font souvent passer après leurs intérêts personnels et ceux du film… Pour réussir, Bella doit prendre sur elle, ne pas faire de vagues et se plier aux envies des réalisateurs et des agents

Enfin, dans Le Dernier Duel, il est important de souligner que Marguerite n’est que très peu présente dans les deux chapitres racontés du point de vue des Hommes, preuve que la place de la femme dans la société de l’époque était minime.

Les deux films contiennent pleins d’autres éléments qui témoignent de la place de la femme dans la société et du traitement qu’il lui est réservé et dont je n’ai pas parlé. 

Quoi qu’il en soit, ils peuvent également être vus comme de très bons supports éducatifs pour aider, peut-être un peu, la société à prendre conscience du travail qui l’attend si elle souhaite lutter contre les violences faites aux femmes