Parfois lorsqu’on va au cinéma, il arrive qu’on soit déçu par un film dont on attendait beaucoup. Et puis parfois, il y a des films dont on attendait rien, et qui nous surprennent, nous éblouissent et laissent sur nous une marque qui ne partira certainement jamais.
Un Monde, premier film de la réalisatrice belge Laura Wandel, fait partie de cette deuxième catégorie de film.
Dans ce film, nous suivons Nora (Maya Vanderbeque) qui fait sa rentrée dans une nouvelle école, dans laquelle son grand-frère Abel (Günter Duret) y est également. À travers le regard de Nora, nous allons découvrir le harcèlement dont est victime Abel.
Un Monde traite de la question du harcèlement scolaire mais d’une manière assez inédite : à travers le point de vue de l’enfant uniquement. Ce parti pris scénaristique est appuyé par une mise en scène brillante, et un cadrage toujours à la hauteur de l’enfant. La caméra, et donc le spectateur, sont placés au même niveau que l’enfant, et lorsque les adultes souhaitent rentrer dans le cadre, et donc dans l’histoire, ils doivent se baisser et se mettre au niveau des enfants.
Le spectateur est alors en immersion dans un monde bien particulier : le monde de l’enfance. Et en même temps que Nora, nous allons découvrir que ce monde a ses propres règles, ses propres codes, et ses propres lois, dont une loi particulière dont nous parlerons plus tard, la loi du silence.
Ce monde des enfants, investi par la caméra, est défini et contenu dans un cadre spatial bien précis : celui de l’école. La caméra ne franchira alors jamais les grilles de l’école et cette dernière est assimilée à une prison dont on ne sortira jamais vraiment. Les surveillants de cour de récréation font office de gardiens de prison, et de nombreuses scènes font écho à cet univers carcéral : les repas dans la cafétéria, les bagarres dans la cour de récréation ou encore les discussions derrière les barreaux.
Les élèves semblent bien enfermés dans ce monde où la loi du plus fort règne et dont les adultes sont exclus. Cette exclusion des adultes est d’abord représentée par une exclusion du cadre et des plans à cause du positionnement de la caméra, mais également une exclusion hors de l’enceinte de l’école. Une scène vient bien souligner cela : le père d’Abel et Nora (interprété par Karim Leklou) retrouve sa fille derrière les barreaux de la grille qui entoure la cour de récréation, endroit d’où il essaie d’observer ce qui se passe dans ce monde, mais un endroit qui lui est également interdit. À plusieurs reprises, sa fille Nora, ainsi que ses amies, lui répètent qu’il n’a pas le droit d’être là. Cette exclusion des adultes de ce monde est également symbolisée par le fait qu’Abel demande à sa sœur de ne rien dire à leur père.
C’est ici qu’apparaît ce que j’appelais plus tôt la loi du silence. Ce qui se passe dans l’enceinte de l’école et entre les enfants ne doit pas être répété aux parents, au risque d’empirer les choses. Cette loi silencieuse va à la fois exclure plus encore les adultes de ce monde, mais va également isoler davantage les enfants. Nora finit par être rejetée par ses amies qui se moquent de son frère qui ne parvient pas à se défendre face à ses agresseurs, mais elle va également finir par rejeter son frère car elle le désigne comme la raison de son isolement.
Les adultes quant à eux peinent à réussir à accompagner les enfants face à ces problématiques et à les aider de manière efficace. Ce film nous amène alors à nous questionner sur le rôle et la responsabilité des adultes, et la façon dont ils interfèrent dans ces affaires de harcèlement scolaire.
Enfin le film nous montre également les rapports de domination qui existent entre les enfants, certes, mais plus largement au sein de la société. La réalisatrice illustre parfaitement les rapports de violence, la facilité avec laquelle on peut passer de victime à agresseur et la facilité avec laquelle on reproduit les schémas de violence observés autour de nous.
Pour pousser un peu plus loin la réflexion autour de l’origine de la violence, on peut supposer que le monde de la cour de récré est une version miniature de la société en général et que les rapports de domination qui y existent, existent également dans le monde extérieur, le monde des adultes.
À cause de l’isolement dans lequel son harcèlement l’a enfermé, il va essayer de récupérer du pouvoir en devenant le dominant, et donc l’agresseur d’une victime plus faible que lui.
Enfin le film se conclut sur une très belle scène qui nous montre l’importance de l’amour et du soutien. C’est effectivement l’amour que Nora porte à Abel à la fin du film qui semble lui permettre de sortir de cette spirale de violence.
Un monde est un film puissant, nécessaire et émouvant. C’est un film brillant, aussi bien au niveau de la mise en scène que du scénario. Il est d’ailleurs très intéressant de noter qu’il n’y a aucune musique dans le film. Ainsi cela renforce le réalisme du film et accentue ce qu’il est : une plongée dans le monde de l’école et une étude des rapports de violence qui existent dans la société, à travers le prisme de l’enfance.
Un Monde de Laura Wandel avec Maya Vanderbeque, Günter Duret et Karim Leklou
Durée : 1h15
Sortie le 26 janvier 2022