Babysitter est le deuxième film de Monia Chokri. C’est un excellent film féministe et artistique qui explore les rapports de domination entre les hommes et les femmes et la misogynie de notre société. C’est un film riche, complexe et drôle qui mêle les genres merveilleusement bien et contient de nombreux messages féministes. Décryptage.
Pour une petite présentation rapide du film, je vous invite à visionner cette vidéo sur mon compte instagram.
Une critique du regard masculin : sexisme et domination.
La scène d’ouverture du film nous plonge directement dans l’univers effréné du film. On y retrouve Cédric, notre personnage principal, avec deux amis lors d’un match de catch, un symbole de la masculinité toxique. Lors de ce match, alors qu’ils sont entrain de discuter de la grosseur des hanches d’une femme sur une photo, ils font la connaissance de deux jeunes femmes qui sont venus assister au match.
Cette scène est l’occasion pour la réalisatrice de dénoncer le regard masculin porté sur les femmes. C’est ce que témoignent les nombreux plans sur les poitrines des deux femmes lors de la scène du catch, qu’on retrouvera à de nombreuses reprises dans le film, notamment à travers le regard de Cédric. L’alternance des plans en plongée/contre plongée mettent aussi en avant la dominance des hommes sur les femmes. Ainsi, en quelques minutes, Monia Chokri précise le sujet du film aux spectateurs. Babysitter est une observation des rapports de domination entre les hommes et les femmes, mais également une critique du regard masculin.
Cette critique du regard masculin revient un peu plus loin lors de scènes avec le personnage de Jean-Michel, le frère de Cédric. À deux reprises, celui-ci est filmé entrain d’observer à son insu Amy. C’est précisément une façon sexiste qu’à le cinéma de représenter et filmer les femmes, et cela a été dénoncé par Iris Brey dans son ouvrage Le Regard Féminin. Il s’agit ni plus ni moins de scopophilie, un terme défini par Freud qui désigne le plaisir de s’emparer de l’autre comme objet pour le soumettre à son regard contrôlant.
C’est précisément ce que fait Jean-Michel dans cette scène où il observe Amy bronzer dans le jardin. Monia Chokri se sert alors de son film pour dénoncer la façon dont le cinéma filme parfois les femmes. Le spectateur est mal à l’aise à cause du comportement déplacé de Jean-Michel, alors pourquoi est-ce qu’il en serait autrement dans un autre film ? Pour prendre un exemple récent, dans The Batman, Bruce Wayne observe littéralement Catwoman se changer dans sa chambre avec des jumelles.
Une critique de la misogynie intériorisée : le personnage de Cédric.
À travers le personnage de Cédric, Monia Chokri représente la misogynie intériorisée de la société. On parle de misogynie intégrée car elle est ancrée dans le monde de vie et de réflexion des personnages mais n’est pas conscientisée. Cédric ne choisit pas volontairement de mépriser les femmes ou de leur nuire, mais cette misogynie est tellement répandue dans notre société que des actions, des paroles dégradantes envers les femmes lui paraissent normales. Et même s’il est en pleine remise en question suite à un acte sexiste devenu viral, il continue d’exclure les femmes et ne les écoute pas même dans son cheminement. Il écrit ses lettres d’excuses avec son frère, lui aussi un misogynie endurci, et n’échange à aucun moment avec sa femme à ce sujet. D’ailleurs, cette soudaine prise de conscience pseudo-féministe ne le conduira jamais à aider sa femme pour la soulager de sa charge mentale. Au contraire, il fera appelle à une autre femme (Amy, la babysitter) pour s’occuper de son enfant et le décharger lui de la contrainte. Par ailleurs, lorsqu’il discute avec Amy de son livre, c’est elle qui lui donne l’idée du titre (Sexist Story) mais Cédric se l’approprie comme le sien.
Dès le début de sa réflexion sur l’origine de sa misogynie, Cédric blame sa mère : la cause de sa misogynie est pour lui nécessairement une femme. Cette tendance à accuser une femme à chaque fois est également présente chez son ami Tessier. Pour lui, c’est de la faute des femmes rencontrées au match de catch si Cédric a embrassé la présentatrice sportive.
Enfin, une troisième scène nous montre bien à quel point la misogynie et le sexisme sont ancrés dans notre société. Cédric, en pleine déconstruction, est complètement perdu et bouleversé parce qu’il a perdu tous ses repères. Il regrette l’époque où il pouvait faire des blagues sexistes tranquillement sans que personne ne lui dise rien. Cette scène en particulier est très intéressante car Cédric est placé dans un cadre qui appartient habituellement à l’univers féminin : il écrit une lettre, à la lueur d’une bougie, sa main appuyée sur son menton, l’air rêveur. Cela permet à la réalisatrice de renverser encore un peu plus les rapports entre les genres.
Un dernier exemple de cette misogynie intériorisée qui est très répandu dans notre société : la discussion entre Cédric et sa boss Brigitte, aussi appelé Bri-bitch par ce dernier et ses amis. Lorsque Brigitte prend connaissance de la vidéo virale de Cédric embrassant la journaliste sportive, elle décide de le suspendre non pas parce qu’elle condamne son geste, mais parce que ce n’est pas bon pour l’image de l’entreprise. Même pour Brigitte, défendre l’honneur de la journaliste agressée n’est pas une priorité. Preuve que cette misogynie est intériorisée, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
Le poids de la charge mentale : le personnage de Nadine.
Nadine représente la mère qui a perdu son statut de femme. Cela est exprimé dès le début à travers la première apparition de Nadine. La caméra filme un gros plan sur sa poitrine alors qu’elle est entrain d’allaiter : le sein de Nadine, attribut féminin, est directement associé à son bébé. C’est d’autant plus criant qu’on passe de gros plans sur les seins des femmes lors du match de catch, à un gros plan sur la poitrine de Nadine mais avec l’enfant. Sa poitrine n’est pas sexualisée contrairement à celle des jeunes filles du match de catch, mais elle sert à nourrir l’enfant, enfermant Nadine dans son rôle de mère.
Complètement ensevelie sous la charge mentale et en dépression post-partum, Nadine n’est au début du film que l’ombre d’elle-même. Cela est symbolisé à plusieurs reprises par une vision de Nadine presque fantomatique. Lorsqu’elle conduit dans le quartier pour endormir son enfant, elle se voit à plusieurs reprises toute vêtue de blanc dans les buissons. De plus, la robe de chambre blanche et large qu’elle porte chez elle fait également écho au symbole du fantôme. Au fur et à mesure que le film avance et grâce à la présence d’Amy, Nadine va retrouver des couleurs – avec le costume de reine et la cape – et redevenir une femme, en plus d’être une mère.
Ce n’est qu’à la fin du film que le personnage de Nadine renoue finalement avec sa sexualité et sa sensualité. Elle avait certes essayé lors de la scène du bain à l’hôtel, mais avait directement été rappelée à son rôle de mère. Mais lors de la scène de fin dans les bois avec son mari, Nadine laisse sortir sa colère face au comportement de son mari et inverse le rapport de domination. Avec ce god-ceinture, elle se réapproprie ce symbole phallique traditionnellement associé à la masculinité et au pouvoir masculin. Lorsque Amy lui laisse la possibilité d’exprimer sa domination de la même façon que l’homme, avec la proposition de fellation, Nadine refuse et opte pour un rapport d’égal à égal avec Amy.
Le symbole de la sorcière : le personnage d’Amy.
À première vue, Amy correspond aux fantasmes masculins : elle est jeune, blonde, souriante, pleine de vie et porte des tenues courtes. Monia Chokri a déclaré vouloir rendre hommage aux babysitters avec ce film, un métier compliqué, essentiel et souvent méprisé. Dans le film, Amy a effectivement un rôle clé. Le film est sans aucun doute un film féministe et Amy est la représentation de la féministe. C’est pourquoi à certains moments elle peut être comparée à une sorcière.
Le film change de registre régulièrement, et deux scènes basculent presque dans l’horrifique. Ces deux scènes sont des scènes avec Amy. À chaque fois, sa voix devient plus grave et le film devient plus sombre, plus inquiétant. Ce procédé est utilisé pour permettre aux personnages de prendre conscience de quelque chose. La première fois, elle aide Nadine a accepté de prendre soin d’elle et la deuxième fois, elle met Jean-Michel face à sa misogynie et son hypocrisie.
Enfin, lorsque Amy quitte la maison à la fin du film, l’atmosphère change à nouveau. Elle disparaît dans un nuage de fumée et on entend un voix-off qui peut faire écho à un sortilège dans une langue étrangère. Amy peut être comparée à une sorcière, et cette comparaison est très intéressante car l’imaginaire de la sorcière est souvent utilisé pour décrire les féministes. D’ailleurs la chasse aux sorcières du XVIe et XVIIe siècle n’était ni plus ni moins un massacre des féministes, des femmes célibataires, inquiétantes ou qui refusaient de se conformer à la société patriarcale. Dans Babysitter, Amy représente cela : une femme qui fascine les hommes mais qui leur résiste et aide Nadine à se libérer et s’affirmer en tant que femme.
Le fantasme du chevalier sauveur : le personnage de Jean-Michel.
Le dernier personnage important du film est Jean-Michel, le frère de Cédric, qui pense être un féministe accompli. C’est lui qui indique à Cédric qu’il a un problème avec les femmes et qu’il est misogyne. Alors qu’il semble être un allié parfait au début du film, Jean-Michel devient très vite un personnage problématique, voire plus problématique que Cédric.
Sa relation avec Amy symbolise bien son problème. Jean-Michel se pense comme un valeureux chevalier qui va venir sauver Amy, et les femmes en général. Alors qu’il pense que Amy a été victime de violence, il lui demande de le suivre pour qu’il puisse la protéger et la sauver. Ainsi, sous une bienveillance apparente, il l’enferme encore plus dans une position d’infériorité et laisse penser qu’elle est incapable de se défendre et de se protéger elle-même.
Cette position de sauveur se voit également dans la conception du livre Sexist Story. Il débute le livre avec Cédric, puis décide de le faire tout seul, jugeant que Cédric n’est pas assez féministe. Or, il veut que son livre, écrit sans aucune contribution féministe, devienne un best seller féministe à destination des hommes, qui libérera les femmes de la misogynie. Sauf que cela montre qu’il continue de voir les femmes comme des êtres inférieurs et qu’il est donc extrêmement misogyne. D’ailleurs, l’interview qu’il fait à la fin du film où il propose de payer la salle de sport à la journaliste montre bien que son personnage n’a pas du tout évolué.
La scène de fin : épiphanie et babysitter.
Le film ne laisse pas indifférent et la scène finale non plus. Cette scène se compose de deux parties : une première avec le personnage de Cédric et une autre avec un groupe de babysitter.
À la fin du film, le personnage de Cédric est de retour dans son bureau et on le voit en plein échange de regards avec une de ses collègues. De son côté, il semble réaliser quelque chose. Du côté de sa collègue, elle semble le confronter. À mes yeux, et de manière optimiste, cette scène montre que Cédric a appris quelque chose de cette expérience de remise en question et qu’il se rend compte d’à quel point son rapport aux femmes est problématique. Il est désormais contraint de se confronter à la réalité et à la colère des femmes qu’il a blessées, comme cette collègue par exemple.
Puis, le film se clôt sur un plan de la rue où on voit des babysitters arpenter la rue en roller. Selon moi, ces babysitters sont en mission : infiltrer les maisons grâce à leur rôle clé de babysitter et remettre de l’ordre dans les rapports entre les femmes et les hommes. Elles viennent diffuser les idées féministes dans les ménages et vont pousser chacun et chacune à se remettre en question. Un peu comme le fait le film !