Ce vendredi a lieu la 48ème cérémonie des César et aucune femme n’est nommée dans la catégorie meilleure réalisation. Face à ce manque de reconnaissance des femmes dans l’industrie du cinéma, les initiatives se multiplient pour offrir aux réalisatrices cette visibilité bien méritée.
2%. C’est la proportion de femmes parmi les lauréat.es du César de la meilleure réalisation depuis 1976, date de création de cette catégorie. Derrière ce chiffre se trouve en réalité une seule femme : Tonie Marshall. À ce jour, elle est la seule à avoir reçu le César de la meilleure réalisation. C’était en 2000 pour son film Vénus Beauté (Institut).
Depuis, 22 années ont passés mais aucune autre femme n’a été sacrée meilleure réalisatrice aux César. L’année 2023 ne dérogera pas à la règle, car encore une fois dans la sélection de cette catégorie, pas une seule femme en vue. D’ailleurs depuis 1976, sur 255 nommé.es, seulement 10% sont des femmes. Pour les femmes racisées, le chiffre est encore plus catastrophique puisqu’elles ne sont que quatre à avoir été nommées dans cette catégorie.
Le constat est le même dans la catégorie meilleur film. Depuis 1976, 12% des nommé.es sont des femmes, et quatre d’entre elles ont remporté le César du meilleur film (8%) : Coline Serreau en 1986, Tonie Marshall en 2000, Agnès Jaoui en 2001 et Pascale Ferran en 2007.
De la reconnaissance pour les réalisatrices : un des objectif du prix Alice Guy
Face à ce manque de reconnaissance des réalisatrices dans les cérémonies de prix, Véronique Le Bris, journaliste et auteure du livre 100 grands films de réalisatrices, a créé le Prix Alice Guy en 2018. Avec ce prix, elle propose à tou.tes de voter chaque année pour leurs films préférés parmi les nombreuses œuvres réalisées par des femmes et sorties en salle.
Cette année, près de 3 000 personnes ont voté pour sélectionner les 5 finalistes du Prix Alice Guy. Le 21 février, un jury paritaire les a départagé, et c’est Revoir Paris d’Alice Winocour qui a été récompensé. La réalisatrice recevra son prix à l’occasion d’une soirée de remise de prix, accessible au public, et qui se tiendra au mois d’avril au Max Linder à Paris. C’est l’opportunité pour les spectateur.ices de (re)découvrir le film primé mais aussi les œuvres d’Alice Guy. Les courts-métrages de cette réalisatrice trop longtemps effacée de l’histoire du cinéma seront projetés en première partie de soirée.
“Ce prix a plusieurs objectifs” reconnaît Véronique Le Bris, “d’abord d’offrir de la reconnaissance aux réalisatrices, mais aussi de permettre une prise de conscience du public et montrer que des films réalisés par des femmes il y en a, et un grand nombre ! Et puis aussi, c’est une façon de remettre Alice Guy dans le territoire du cinéma, et lui redonner la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter”.
“Le problème de la mise en avant des films réalisés par des femmes, c’est avant tout une question de budget.”
– Véronique Le Bris, Fondatrice du Prix Alice Guy
Le Prix Alice Guy est la preuve que les films réalisés par des femmes existent et qu’ils sont tout à fait admirables. Alors comment expliquer leur absence quasi systématique lors des remises de prix ?
Selon Véronique Le Bris, cela n’a pas grand chose à voir avec leur qualité mais se justifie surtout par un manque de visibilité lors de leur sortie en salle. “Le problème de la mise en avant des films réalisés par des femmes, c’est avant tout une question de budget. Les réalisatrices font surtout du cinéma d’auteur en France et avec un budget souvent amputé d’un tiers par rapport au budget d’un réalisateur. Généralement c’est le budget qui aurait pu être utilisé par avoir accès à un casting prestigieux ou le budget alloué à la promotion”.
Pénalisés par une visibilité moindre, les films réalisés par des femmes sont alors moins visionnés. Au moment fatidique, les votant.es des César vont plutôt offrir leur voix aux films qu’ils connaissent et dont ils ont entendu parler.
De la visibilité pour les femmes cinéastes : un enjeu de société
Offrir plus de visibilité aux films réalisés par des femmes apparaît alors comme un moyen d’espérer plus de parité lors des cérémonies de prix. Mais c’est surtout et avant tout un enjeu de société. Qui raconte quelles histoires et comment ? La représentation qu’on donne de nos sociétés dans les films a son importance. Elle influence à la fois la construction des individu.es mais aussi celle d’un inconscient collectif.
Le collectif 50/50, association qui œuvre en faveur de l’égalité, la parité et la diversité dans le cinéma, l’a bien compris. “Le cinéma fait la promotion d’une certaine vision du monde. Il est donc essentiel que la pluralité de notre société soit davantage représentée”, peut-on lire sur leur site internet.
Pour veiller à ce que cette multiplicité des points de vue soit respectée, il est nécessaire de mettre en place des mesures et des quotas, mais surtout de suivre les avancées de près. C’est le travail que réalise Lab Femmes de Cinéma chaque jour depuis 2017. Pour Lise Perottet, coordinatrice générale de l’association, ce travail de longue haleine paie : “On est sur une temporalité longue, les mesures prennent du temps à s’implémenter, mais aujourd’hui, des pays qui ne faisaient rien il y a 2 ou 3 ans commencent à mettre en place des quotas grâce à ce travail de suivi”.
“L’audiovisuel est un secteur où les ficelles sont encore beaucoup tirées par des hommes qui se co-optent. »
– Lise Perottet, coordinatrice générale de l’association Lab Femmes de Cinéma
Cette association réalise aussi une étude annuelle sur la parité dans l’industrie du cinéma. Celle de décembre 2022 a prouvé qu’il restait encore du chemin à faire. Alors que 50% des diplômé.es d’écoles de cinéma sont des femmes, seul 1 film français sur 4 est réalisé par une femme. Un résultat qui s’explique selon Lise Perottet par un manque de représentation des femmes dans ce milieu : “L’audiovisuel est un secteur où les ficelles sont encore beaucoup tirées par des hommes qui se co-optent. Comme il y a moins de femmes, il y a plus de sexisme et de discrimination, et moins de rôles modèles. C’est, entre autres, ce qui fait qu’il est plus difficile pour les femmes de se projeter dans une carrière de réalisatrice”
Mettre en place des mesures et des quotas est une façon efficace de lutter pour la parité dans ce secteur. Mais à son échelle, chacun.e peut aider à offrir plus de visibilité aux réalisatrices grâce à un geste simple : se rendre en salle. “Allez voir des films réalisés par des femmes, parlez-en ! Ils sont là, ils existent, ils sont tout aussi bons. Ils ne sont juste pas mis en valeur de la même façon” conclut Lise Perottet.
De plus en plus d’initiatives sont mises en place pour aider les spectateur.ices à trouver facilement ces films. La revue Sorociné organise régulièrement des ciné-clubs afin de faire découvrir ou redécouvrir des films réalisés par des femmes. Elvire Duvelle-Charles de son côté a également lancé son ciné-club Tonnerre, où elle y diffuse chaque mois un film réalisé et/ou écrit par une femme. De notre côté, chez Merci L’audace, on veille à présenter chaque mois les sorties cinéma des réalisatrices ainsi que des retours détaillés sur les films en salle actuellement … Les films de réalisatrices sont là, à votre portée et ne demandent qu’à être découverts !
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Propos de Lise Perottet et Véronique Le Bris recueillis par Chloé Blanckaert
La liste des nommées aux César de la meilleure réalisation et du meilleur film est consultable ici. Ce tableau a été réalisé à partir des données obtenues sur Wikipedia.
