Earwig de Lucile Hadzihalilovic, une plongée cauchemardesque réussie

Avec son troisième film, la réalisatrice signe une œuvre aussi nébuleuse qu’hypnotisante. Un film à l’ambiance nocturne impressionnante qui ne semble prendre tout son sens que longtemps après la fin de la projection.

Crédit : Ant Worlds Petit Film/FraKas Productions/The British Film Institute Channel Four Television Corporation

Ce que j’aime en tant que spectatrice, c’est ressentir des sensations, des émotions qui excitent mon imagination. Je trouve plus stimulant d’évoquer que de tout dire ou tout montrer. Suggérer ce qui est dans l’ombre plutôt que placer les choses en pleine lumière. Ça permet au film de persister plus longtemps.explique Lucile Hadzihalilovic, réalisatrice de Earwig

En quelques phrases, elle décrit parfaitement les ambitions de son film. Évoquer plutôt que dire, mettre en lumière ce qui est dans l’ombre et persister longtemps dans l’imaginaire des spectateur.ices… Tout ça grâce à un scénario nébuleux et une ambiance impeccable

Entre rêve, cauchemar et réalité

Le synopsis de départ est assez mystérieux. Dans une demeure isolée, Albert s’occupe de Mia, une petite fille aux dents de glace, jusqu’au jour où son Maître lui demande de la préparer au départ. Qui sont-ils ? Que font-ils là ? Quel départ ? Le film ne nous apportera pas tellement de réponses mais nous encouragera à inventer nos propres hypothèses.

Crédit : Ant Worlds Petit Film/FraKas Productions/The British Film Institute Channel Four Television Corporation

Dès les premières minutes, le contrat entre la réalisatrice et ses spectateur.ices est clair. Le film est une invitation à plonger dans un nouvel univers. Musique planante, photographie nocturne et jeux de miroirs hypnotisants, difficile ici de dissocier le rêve (ou plutôt le cauchemar) de la réalité

À la manière d’une artiste peintre, Lucile Hadzihalilovic crée un monde d’ombre, aussi bien au niveau des décors que des personnages. Un monde qui se dévoile presque uniquement à la lumière tamisée d’une photographie impressionnante : la réalisatrice et son chef opérateur ont fait le choix de n’éclairer qu’avec la lumière du jour et les lampes présentes sur les décors.

Une évolution dans la durée

On émerge d’Earwig comme d’un cauchemar (et ce n’est probablement pas un hasard que le motif de la dentition soit omniprésent). Déstabilisé.es, sonné.es et avec un petit goût d’inachevé, comme s’il manquait quelques éléments supplémentaires pour complètement saisir l’objet qui s’est dévoilé à nous. 

À partir de ce moment-là, deux options s’offrent à nous : soit oublier et passer à autre chose, soit persévérer et donner du sens à cette histoire. C’est là qu’Earwig réussit un tour de force. Après avoir proposé une expérience sensorielle insolite pendant près de 2h, le film s’impose dans notre esprit et nous invite à reconstituer un puzzle à partir d’indices posés ici et là par la réalisatrice. Alors que cette dernière aime penser son film comme une séance d’hypnose, c’est désormais à nous d’analyser cette plongée dans le psyché d’Albert, un homme hanté par son passé. 

Crédit : Ant Worlds Petit Film/FraKas Productions/The British Film Institute Channel Four Television Corporation

Qui est Lucile Hadzihalilovic ? 

Réalisatrice, scénariste et productrice française, Lucile Hadzihalilovic se passionne très tôt pour le cinéma et plus particulièrement les films d’horreurs et de science-fiction américain. À l’âge de 17 ans, elle quitte le Maroc où elle a grandi pour Paris et intègre quelques années plus tard la Fémis (anciennement IDHEC). Elle y réalise son premier court métrage, La Première Mort de Nono en 1986. En 1991, elle fonde la société de production Les Cinémas de la Zone avec Gaspar Noé, société qui produira ensuite tous les films du réalisateur. En 1996, elle réalise son premier film, un moyen métrage avec un nom qui rappelle déjà la dentition : La Bouche de Jean-Pierre. En 2004 elle réalise son premier long métrage Innocent, primé au Festival du film international de San Sebastien. En 2015 sort son deuxième long métrage, Evolution, également primé au festival du film international de San Sebastian. Earwig est son troisième long métrage. 

Earwig, un film de Lucile Hadzihalilovic avec Paul Hilton, Romane Hemelaers et Alex Lawther. Durée : 1h54. En salle le 18 janvier.

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