La semaine dernière, j’ai eu la chance de pouvoir retourner au théâtre pour la première fois depuis la fin des confinements. Ce fut l’occasion pour moi de découvrir à la Comédie Française la pièce Les Démons, adaptée du roman de Dostoïevski, et mise en scène par Guy Cassiers.
Les Démons est une pièce assez dense qui nous donne à voir le conflit entre deux générations en Russie. D’un côté la vieille génération incarnée par l’aristocrate Varvara (Dominique Blanc) et son protégé, le professeur Stepan (Hervé Pierre); de l’autre la jeune génération et leur envie de révolution, incarnée par Piotr (Jérémy Lopez), le fils de Stepan et Nikolaï (Christophe Montenez), le fils de Varvara. Aux envies destructrices de l’un, s’ajoute le nihilisme de l’autre, et cela débouche sur une volonté de détruire la société créée par leurs parents, pour qu’une nouvelle renaisse ainsi des cendres.
Si l’histoire de cette pièce nous renvoie aisément à des thématiques contemporaines, la force de la pièce réside sans aucun doute dans la mise en scène ambitieuse et ingénieuse de Guy Cassiers.
À travers des écrans sur lesquels sont diffusées des images en direct, Guy Cassiers construit un véritable monde d’illusions, représentatif de celui dans lequel évoluent les personnages de ce roman. Sur scène, les comédiens sont dos à dos, de trois quart, seul ou face au public, mais ne se parlent jamais face à face. Sur les écrans, l’illusion prend vie et les comédiens dialoguent et interagissent les uns avec les autres grâce à un dispositif bien huilé. Ce tour de passe-passe est plaisant à voir, surprenant et captivant, mais détourne par instant notre attention du sujet de la pièce. On peut supposer ici que c’était le but du metteur en scène : détourner l’attention du spectateur avec cette illusion, de la même façon que les personnages se complaisent dans les leurs.
Au fur et à mesure de la pièce, ce stratagème disparaît, en même temps que les illusions des personnages se brisent : les partisans de la révolution menée par Piotr doutent, l’optimisme de Stepan se dissipe, le nihilisme de Nikolaï prend le dessus… Les illusions sont brisées et les comédiens sont alors de plus en plus amenés à interagir les uns avec les autres avec une mise en scène dépouillée de tout artifice et plus “classique”. La pièce se clôt sur les monologues entrelacés de Nikolaï, Piotr et Stepan, dont les visages sont mélangés sur un écran géant, descendu pour l’occasion au devant de la scène. Les démons respectifs de Stepan, Piotr et Nikolaï semblent avoir pris le dessus.
Enfin, que serait une pièce sans ses comédiens, et quels comédiens ! Comme toujours à la Comédie Française, chacun livre une performance impeccable. Mais j’aimerais ici prendre un moment pour vous parler de Christophe Montenez en particulier.
Ce comédien que j’ai découvert en 2016 dans Les Damnés occupe une place particulière dans mon cœur et ne cesse de m’ébahir à chaque interprétation. Si vous ne le connaissez pas, je vous invite fortement à le découvrir dans Les Démons, où il livre une prestation sous le signe de la dualité. Entre douceur et folie, Christophe Montenez passe d’une émotion à une autre en un claquement de doigt, devant les yeux du spectateur. Jamais dans l’excès, toujours d’une justesse incroyable, il donne vie au personnage de Nikolaï dans tout ce qu’il a de sublime et de grotesque : “une âme pourrie sous un visage d’ange” écrit Sophie Jouve, et je ne peux qu’approuver.
Pour la petite information, Christophe Montenez sera également à l’affiche du film Amants de Nicole Garcia, qui sort en salle ce mercredi 17 novembre, au côté de Stacy Martin et Pierre Niney.
Un dernier mot pour conclure sur Jérémy Lopez, l’interprète de Piotr, qui est lui aussi très talentueux et qui interprète un Piotr plein de fougue et d’idéaux. Actuellement à l’affiche de Si on chantait au cinéma, une très bonne comédie d’ailleurs, je vous invite à le découvrir dans ces deux rôles pour prendre pleinement conscience de son talent et de ses capacités.
Les Démons, d’après l’œuvre de Dostoïevski, mis en scène par Guy Gassiers, en représentation à la Comédie Française, Salle Richelieu, jusqu’au 16 janvier 2022.